OCB, codéine et Nouveau Roman : Le rap fragile en 2015.

Art
Yann-Moix-Nekfeu-manifesto-xxi

Nous sommes en 2015, c’est toujours la Vème République, le rap n’a pas encore pris la place de la politique.

En revanche, il semblerait que l’ensemble du rap français soit atteint d’un étrange mal. Les rappeurs, autrefois figures terrifiantes, couteau entre les dents, symboles du sale et du politiquement incorrect ne font plus peur à ta grand-mère. Pire, ils ont arrêté d’épouvanter les chroniqueurs télé. C’est la merde. Quoi de plus affreux que la vision d’horreur d’un Yann Moix condescendant, en pleine démonstration d’ignorance face à un Nekfeu qui ne veut rien d’autre que lui demander gentiment de se taire, et ce, pour son propre bien ?

« On a l’impression que c’est des mecs qui prennent du crack mais dans la cour de récréation du Petit Nicolas. C’est de l’ultra-violence sur de la gentillesse de Bisounours. Les coups que vous donnez, c’est à coups de hochet que vous les donnez »

Passons l’ironie du fait que le prude Yann Moix se gargarise de rechercher une violence, notamment sociale, dont il n’a probablement pas idée et qu’il ne connaîtra jamais. Qui sait, il a peut-être côtoyé le deal de coke dans la cour de l’École Supérieure de Commerce à Reims. Oublions aussi son énumération fastidieuse et fatigante, qui n’importe finalement que très peu. L’important est de noter que le rap français n’est pas monolithique, qu’il ne se limite pas aux deux ou trois préjugés d’un chroniqueur télé, et surtout, qu’il n’a en aucun cas le devoir de satisfaire à des codes prédéfinis, n’en déplaise aux rageux.

Alors si toi non plus tu ne comprends pas trop ces démonstrations de fragilité qui parsèment l’emo rap, ne t’inquiète pas, nous sommes là pour toi. Ouvre ton esprit, et peut-être qu’un jour tu seras un peu plus « grave cool » que Yann Moix, et pas qu’avec Emmanuel Moire.

Nusky & Vaati – Fantôme

Influences trap et mélodies à la douceur diaphane, Vaati, beat-maker du crew Kaïoshin nous emmène vers les hautes sphères pendant que Nusky, ombre torturée, pose calmement, la voix sobrement habillée d’une touche de vocoder. Après un EP trois titres réussi, Lecce, ils sont de retour avec Swuh, une élégante mixtape auto-produite. Du single Fantôme à un freestyle éthéré de 5 minutes sur fond de guitare, en passant par un interlude au piano, ceci n’est rien d’autre que le projet le plus intéressant de cette année 2015.

Vald – Bonjour

« Bonjour, un hymne comme le Nouveau roman du rap Français. Un texte qui est en fait un prétexte, une histoire qui n’en est pas une, comme le Nouveau roman était une histoire sans personnages »

Oui, on crie peut-être un peu rapidement au génie à l’écoute de Vald, mais il n’en reste pas moins que le rappeur du 93 est un excellent conteur. Aussi, on pourra difficilement mieux décrire ce titre que Jean Morel, fondateur du magazine Grünt dans son article pour i-D.

Sémaphore – Cailloux Bleus (Prod. Robotnik)


« Tous les jours on développe des carences, des caries, on a pas de scrupules à copier les cainris »

Concernant les caries, on veut bien les croire c’est certain que le Purple Drank dont ils chantent les mérites, ce mélange de sirops à base de codéine et de prométhazine, en plus de procurer euphories et hallucinations ne doit pas être très bon pour les dents. À propos de la copie des cainris, même sentence, les productions instrumentales de trap ne laissent aucun doute. En revanche, pour ce qui est des carences on les cherche encore. Au-delà des productions soignées, le duo formé par Youno Heisenberg et Jean-Pierre n’est pas à court de punchlines techniques. Mention spéciale à la belle allitération doublée d’une assonance, « Je mange des allocs dans les locaux de la mission locale ». Oui, c’est beau.

https://www.youtube.com/watch?v=YEFtxn_hstU

La Race Canine – Goéland

Dans le crew La Race Canine on retrouve Nusky accompagné cette fois-ci des MC’s Balou Kevlart, Rob-D et Wazy. En groupe, la recette n’est pas différente, une instrumentale trap, quelques notes de piano, OCB, codéine, et on s’envole.

Booba feat. Benash – Validée

Le rap n’est donc pas monolithique, et quoi que l’on en pense, un rappeur peut aussi se mettre à zouker. On retrouve donc Booba accompagné de Benash du 40000 Gang, blessé par la femme qu’il avait pourtant « validée ».

J’ai peut-être mes défauts

J’ai merdé, je l’avoue

Seul et triste comme au dépôt

À une seule femme j’dis « I love you »

Toujours plein de subtilité, le D.U.C nous offre une très belle paronomase (rapprochement de mots aux sonorités semblables mais aux sens différents). En effet, Validée est un remix du titre Ignafi Debena, de l’artiste malien Sidiki Diabate, dans lequel on peut l’entendre dire « Diarabi magni dé ». Sur le même air, la sonorité est très proche du “Je l’avais validée” interprété par Booba.

PNL – Oh Lala

Vous n’avez pas pu passer à côté de Ademo et N.O.S, les deux moitiés de PNL (pour « Peace N Lovés », autrement dit, « paix et billets »). Unanimement porté aux nues par les médias, il faut reconnaître que PNL se démarque par une musicalité inédite. Les productions léchées sont sélectionnées avec le plus grand soin, mais surtout, le vocoder est enfin utilisé autrement qu’en simple artifice et apporte une toute nouvelle dimension mélodique. Mais c’est du côté des textes que PNL innove et crée un univers très personnel. Terminée la course à la punchline, éloignée la caricature du self made man de la drogue. Le deal est là, la violence aussi, mais ils s’exposent en écho avec la nécessité, le remords, la solitude et la peur.

C’est sale quand j’vends la came
Mais bon, croyez pas qu’j’kiffe, des remords quand j’suis à table
Baba, j’bibi en bas, l’temps passe
J’vois l’soleil, s’lever, s’coucher, j’mens quand j’dis « Ça va »

Nekfeu – Le Horla

C’est par lui que commence l’article, il lui revient naturellement de le conclure. On voudrait répondre à ce très cher Yann Moix :

Le traître négocie les trêves, le journaliste grossit les traits
Comme un coké, que connaît-il d’la philosophie des gosses illettrés

PS : Oui, je compte bien continuer à débuter tout mes articles sur le rap par cette phase de Disiz, au moins jusqu’à la sixième République.

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