Rencontre avec Arnaud Idelon, auteur du livre Boum Boum. Politiques du dancefloor, récemment sorti chez Divergences.
Préambule — À qui la fête fait-elle encore promesse ?
Je ne m’attendais pas à être touché par un livre sur la fête techno. Objet difficile à cerner, elle soulève pourtant des angles morts de nos imaginaires politiques. Boum Boum. Politiques du dancefloor d’Arnaud Idelon choisit de réenchanter la fête en l’abordant comme un outil de résistance face aux hégémonies culturelles de droite, un catalyseur d’imaginaires nouveaux. L’auteur en relativise pourtant le potentiel politique, admettant qu’elle peut aussi n’être qu’un acte inutile et consumériste. Alors, pourquoi parler de la fête aujourd’hui ? Ce qui m’intéresse, personnellement, c’est de voir comment, dans la lutte antifasciste, nous pensons la joie et les désirs — deux dimensions parfois reléguées par un militantisme ascétique, mais qui sont aussi le théâtre d’injustices et d’inégalités d’accès (cf. Myriam Bahaffou, Éropolitique. Écoféminismes, désirs et révolution). Parler de la fête, à travers ce prisme, c’est donc aussi interroger la crise de la gauche et ses angles morts.
Parce que, bien souvent, la fête et la gauche radicale se croisent. Et parfois échouent ensemble à contrer le capitalisme. Déjà dans les années 1960, Pasolini dénonçait l’aveuglement d’une gauche communiste italienne face aux nouvelles formes de pouvoir – notamment dans son recueil de poèmes Les Cendres de Gramsci. Aujourd’hui, la fête est elle aussi récupérée, aplatie, neutralisée. La rave capitaliste et capacitiste investit des quartiers populaires qu’elle ignore le jour, en pensant la liberté sans jamais s’assurer que chacun·e puisse réellement l’exercer. Cette fête martiale, Idelon la nomme « fête noire », en référence à un célèbre titre de Flavien Berger. Et c’est un soulagement de lire cette critique, de la part de quelqu’un qui pratique la fête assidument.
Si l’on veut rendre au dancefloor son potentiel politique, il faut affronter nos angles morts. S’ennuyer un peu. Se creuser les méninges pour rendre les espaces accessibles. Renoncer à une part d’entertainment individuel pour favoriser le commun. Cela demande d’oser être de gauche. Impossible désormais de faire l’impasse, dans nos luttes comme dans nos teufs, sur le validisme, le consumérisme affectif, la blanchité, la centralité des corps normés, ou encore les effets des trafics de drogues sur des territoires subalternes, appauvris et colonisés. Il faut, comme le dit Habibitch, avoir le courage de « décoloniser le dancefloor ».
Derrière certaines utopies festives, je perçois un techno-capacitisme latent, qui conditionne l’inclusion à la vitalité, la jeunesse, la performance corporelle — excluant les corps fatigués, malades ou non-conformes. Il s’ancre dans des lieux et structures n’ayant jamais interrogé leurs normes implicites. Dans les métropoles, ne plus sortir revient souvent à disparaître. L’entrisme y mine toute subversion. C’est la douloureuse expérience que font les personnes malades, mises en situation de handicap, les moins jeunes, les timides.
Alors, la fête peut-elle encore enrichir nos liens ? Le livre nous invite à distinguer fête et mondanité. Si le carnaval propose le masque pour fuir nos rôles sociaux, la fête techno semble parfois faire tomber les masques tout en conservant les postures. Les validations et les regards circulent, et tuent ce qu’Idelon appelle l’« ethos » de la fête. Considéré comme le chantre de la subversion, le Berghain de Berlin est aussi connu pour sa sélection à l’entrée stricte, basée sur des normes implicites de style vestimentaire et de corps. Le fascio-capitalisme infiltre même nos lieux de contestation. À quoi sert la fête si elle devient un miroir de l’ordre ? Que reste-t-il de la fête lorsqu’on n’y a plus accès ? Comment la penser depuis la marge ?
Dans Boum Boum, elle est présentée comme cet espace obscur où surgissent de nouvelles relations, spontanées et enfantines. J’y retrouve la joie désintéressée de ne pas avoir à être vu. Nous en avons tous·tes besoin, même les corps rabat-joie, comme le dirait la philosophe Sara Ahmed — ceux qui invitent à regarder le monde avec sensibilité. Le livre, traversé de récits vibrants, m’a rappelé la fête comme passage, comme état océanique. Je crois que la pensée antifasciste peut s’en réapproprier la puissance, à condition de voir les formes hybrides et insidieuses que prend aujourd’hui le pouvoir — y compris sur le dancefloor.
Écrire sur la fête, c’est d’abord rendre hommage à un espace-temps qui m’a permis toutes mes métamorphoses intimes, et a façonné ma manière de me rapporter aux autres.
– Arnaud Idelon
Manifesto XXI – J’ai aimé lire ce livre parce que tu y partages une passion pour ton sujet d’étude. Qu’est-ce que la fête te permet de dire ? Pour toi, le dancefloor est-il encore politique ?
Arnaud Idelon : Écrire sur la fête, c’est d’abord rendre hommage à un espace-temps qui m’a permis toutes mes métamorphoses intimes, et a façonné ma manière de me rapporter aux autres. Cela fait une dizaine d’années que je vis ça, depuis cette première rave à Manchester en 2012.
La fête me donne de la force. Elle porte en elle l’espoir d’une composition entre des groupes sociaux différents, dans une dynamique intersectionnelle. Elle permet de faire venir des utopies dans l’ici et maintenant. Elle propose aussi des imaginaires dissidents : on a une grille de lecture très bornée dans le jour, et parfois, la nuit ouvre à d’autres manières d’être au monde. Ces expériences peuvent s’effacer à l’aube, mais elles sédimentent quelque chose.
J’ai pris le parti d’écrire à partir d’une fête spécifique. C’est une fête techno, urbaine, occidentale, souvent dans des friches, des clubs, des squats. Et c’est un point de vue situé : celui d’un homme cis, blanc, pansexuel, avec les privilèges que cela implique. Pendant longtemps, je n’avais pas vu la fête comme un espace de danger. Ce sont des amies, notamment des femmes ou personnes minorisées de genre, qui m’ont ouvert les yeux là-dessus. Ce livre a donc aussi ses angles morts — il y a des choses que je ne ressens pas dans ma chair.
Concernant le dancefloor politique, il y a pour moi une ambivalence fondamentale. La fête peut être transgressive sans être subversive. Il y a des fêtes qui servent de soupape ou de pansement. Le fameux slogan de Manchester dans les années 80, « At least a good night out », en est un exemple : le quotidien est aliénant, mais au moins, on s’offre une revanche le temps d’une nuit, avant de retourner au même quotidien dès le lundi. La fête peut donc aussi être un instrument de consolidation de l’ordre établi, de célébration d’identités dominantes, un adjuvant pacificateur. Et aujourd’hui, elle est aussi largement récupérée par le capitalisme. Ses composantes politiques sont esthétisées et donc souvent dépolitisées.
Je pense qu’il faut considérer la fête non comme un simple espace-temps, mais comme un ethos, une manière de se rapporter au monde. C’est une grammaire sensible.
– Arnaud Idelon
Qu’est-ce qui dans la fête « déborde au dehors », comme tu l’écris dans ta quatrième partie ? Quels modes relationnels permet-elle, selon toi, de cultiver ?
Le débordement, c’est un imaginaire central. Il est exogène — les médias ou le politique voient la fête techno comme une menace parce qu’elle peut déborder. Mais il est aussi endogène : dans le film Quand tout le monde dort de Jérôme Clément-Wilz, sur le collectif Le Pas-Sage, quelqu’un dit « un jour ça va déborder, un jour on va sortir de nos caves et ça va déborder ». C’est une projection d’un potentiel de dissidence. Je pense à des épisodes historiques : les révoltes suscitées par une descente de police dans le club Bassiani en Géorgie en 2018, ou encore, tout simplement, les émeutes de Stonewall, survenues à New York en juin 1969, qui sont considérées comme un moment clé de la lutte pour les droits des personnes LGBTQ+.
De façon plus macro : je pense qu’il faut considérer la fête non comme un simple espace-temps, mais comme un ethos, une manière de se rapporter au monde. C’est une grammaire sensible. Dans la fête, nos sens sont reconfigurés : on voit moins, on parle moins, on touche, on danse. Selon Michael Fœssel, cette recomposition sensible est aussi une recomposition sociale. J’y vois aussi ce que j’appelle des amitiés immanentes. Des rencontres qui ne sont pas pensées comme des investissements relationnels. Juste deux corps qui dansent ensemble dans l’instant, sans projection. Comme Benoît, que j’ai croisé six fois en dix ans, toujours au même endroit à gauche des enceintes, jamais dans le même lieu. C’est une fidélité au présent.
Et puis il y a le commoning du soin, inspiré par Elinor Ostrom, première femme prix Nobel de l’économie, qui a écrit sur les communs. Le commun de la fête est très particulier puisqu’on prend soin d’une ressource qui est éphémère dans son espace-temps, sa territorialité, ses composantes, et à travers des modes de commoning qui sont infralangagés.
Dès qu’on pense à ce que notre corps produit, au regard des autres, on quitte l’ethos de la fête. Rousseau disait déjà : la fête est l’inverse du spectacle. Une scène polycentrique, mouvante, où on est tour à tour acteur et spectateur.
– Arnaud Idelon
Dans Boum Boum, la fête est pensée comme un espace de fabrication de communs – tu nommes ce processus commoning. Elle y apparaît comme un lieu capable de « déclencher d’autres centralités » et « d’égaliser les conditions en autorisant n’importe quel spectacle à devenir digne de regard ». Je m’interroge depuis sur la mythologie que l’on construit parfois autour de la fête techno : ne participe-t-elle pas aussi à la reproduction de normes capacitistes ? N’est-elle pas un espace de sélection qui ne tolère, en réalité, qu’une certaine corporéité ? Pouvons-nous revenir sur les pratiques de contrôle à l’entrée des clubs – mot qui porte déjà en lui un certain élitisme ?
C’est une ambivalence forte. Le mot « club », en effet, dit déjà quelque chose d’exclusif. Historiquement, il vient des gentlemen clubs victoriens, en oppositions aux pubs populaires. Garde-t-on aujourd’hui le mot club ? Cela traduit une appartenance sociale partagée, donc une exclusion implicite. Et oui, il y a une esthétisation de la fête techno, avec ses figures, ses corps fins, secs, affûtés, les outfits sombres, qui incarnent une certaine norme corporelle. Cette fête devient un espace où l’on performe, où l’on montre. Mais donc, est-ce que ces espaces-là sont encore la fête ? Fœssel parle de la fête comme d’un espace sans lendemain, sans projection, et donc sans performance. Dès qu’on pense à ce que notre corps produit, au regard des autres, on quitte l’ethos de la fête. La fête est l’inverse du spectacle. Une scène polycentrique, mouvante, où on est tour à tour acteur et spectateur.
La théorie des cuillères (ou Spoon Theory) est une métaphore développée par Christine Miserandino pour expliquer la gestion quotidienne de l’énergie chez les personnes atteintes de maladies chroniques ou handicapées. Chaque action — se lever, manger, se laver — coûte un certain nombre de « cuillères », qui représentent une réserve d’énergie limitée. Contrairement aux personnes valides, qui commencent la journée avec beaucoup de cuillères, les personnes non valides en ont moins et doivent choisir soigneusement où les dépenser pour accomplir tous les gestes nécessaires à leur survie. Dans ton livre, le thème de la fatigue revient à plusieurs endroits. Quelle différence, d’après toi, entre l’épuisement et l’oisiveté ? Peut-on pratiquer l’épuisement volontaire en toute circonstance de vie ? N’est-ce pas là le plus grand des privilèges : avoir le luxe de pouvoir dépenser des cuillères en trop ?
Florian Gaité en parle dans la postface, et dans Tout à danser s’épuise. Il s’inspire de Bataille et de l’idée du don sans retour, mais il faudra lui demander plus précisément. Ce qu’il propose, c’est de s’épuiser volontairement pour résister au capitalisme, en sabotant nos forces de travail, en se soustrayant au rendement. En s’épuisant, on réduit notre part maudite. On devient larve. On se soustrait au capitalisme qui voudrait récupérer nos forces de travail.
Ce qu’on pourrait répondre est que d’abord, tout le monde n’a pas une part maudite, une énergie excédentaire. Certaines personnes sont déjà épuisées, par la précarité ou leur condition. Ensuite, s’épuiser, ça peut aussi saper nos forces de subversion. On peut vouloir résister, mais ne plus en avoir les moyens.

Et puis, il y a un sentiment d’appartenance : je me sens relié, à un tout, à tous les corps autour de moi, à un corps collectif plus grand que moi. Et là, l’ego se dissout un peu. Je ne suis plus juste moi, je suis dans ce grand corps mouvant.
– Arnaud Idelon
J’ai envie qu’on passe à la partie de ton livre où tu décris la fête comme un catalyseur d’imaginaires. J’ai trouvé très beau le passage où tu parles du sentiment océanique, ce moment d’éclatement de la conscience et du corps, situé à la frontière entre maximisation et dissolution du soi. Quelles transformations s’opèrent lors de ces épiphanies, qui ne sont pas sans rappeler les expériences de coma et de pré-mort ?
Déjà, merci pour cette question. Je suis quelqu’un d’assez peu spirituel – je n’ai pas vécu d’expérience de mort imminente ou de coma, donc je n’ai pas d’ancrage personnel dans ces zones-là. Roger Caillois, l’anthropologue, parle de la fête comme d’un surgissement du sacré dans le profane. Camille de Toledo parle de la scène techno comme d’une forme de transcendance dans les ruines de l’Histoire, à Berlin : la fin des blocs, la fin des idoles… L’idée que la fête remet de la transcendance là où tout est devenu plat. Et ça me parle.
Peut-être que la fête, dans un monde désacralisé, c’est une manière de réactiver des formes collectives de spiritualité. Pas une spiritualité mystique, mais un rituel qui nous dépasse. Moi, je n’ai pas pensé les choses sous l’angle de la spiritualité quand j’ai écrit. Mais quand tu évoques la maximisation et la dissolution du soi comme mouvements inhérents aux spiritualités, ça me parle. C’est ce que certains ont appelé le sentiment océanique. Dans ces moments-là, on vit un double mouvement : d’un côté, une hyper-compréhension du monde. Comme si tout s’alignait d’un coup. Et puis, il y a un sentiment d’appartenance : je me sens relié, à un tout, à tous les corps autour de moi, à un corps collectif plus grand que moi.
C’est ça, pour moi, le sentiment océanique. Et dans le livre, je le mets en tension avec ce que j’appelle l’hypothèse primavériste. J’ai trouvé un cadre théorique chez Tristan Garcia, qui parle du primavérisme — cette idée de toujours vouloir revenir à un premier printemps, à une première fois. On pourrait l’appliquer à l’amour, au sexe… mais ici, à la fête. Cette hypothèse me parlait, mais elle m’attristait aussi, car elle semblait suggérer que seules les premières fois ont de l’importance. Pourtant, parfois, la fête repart de plus belle, une surprise surgit, et c’est alors que le sentiment océanique réapparaît. Mais ce sentiment, lui, ne se programme pas.
Et peut-être que l’enfance, c’est l’anti-discours. Là où la gauche me semble aujourd’hui coincée dans ses codes : tribunes, manifs, lieux institutionnels… Un universalisme qui peut devenir violent, parce qu’il nie la réalité de ceux qui votent extrême droite. Ça empêche la gauche de produire une vraie rupture. Et la fête, justement, pourrait être un espace pour inventer d’autres récits, d’autres formes de pensée.
– Arnaud Idelon
Comment la fête, selon toi, se relie-t-elle à l’enfance ? Et comment les imaginaires qu’elle déclenche peuvent nous aider, aujourd’hui, à dépasser l’hégémonie culturelle de la droite ?
En latin, infans, c’est celui qui ne parle pas. Dans le livre, j’explore deux dimensions de l’enfance : d’abord, le rapport au langage. L’enfant passe par d’autres grammaires que les mots pour agir sur le monde. Ensuite, ce que j’appelle la bêtise – au sens noble. L’enfant déjoue les règles, introduit du jeu, du décalage. Et j’adore ce mot : jeu. Il ramène de la joie, de la lucidité, il dit : « tout ça, c’est construit ». Les enfants qui sortent des énormités dans le métro, sans filtre, ça me touche. C’est une parole libre, hors des conventions. Et peut-être que l’enfance, c’est l’anti-discours. Là où la gauche me semble aujourd’hui coincée dans ses codes : tribunes, manifs, lieux institutionnels… Elle réagit à des thèmes imposés, comme les migrations, avec des réponses convenues ou à côté – genre « la jeunesse emmmerde le Front national », parce qu’il nie la réalité sociale de celles et ceux qui peuvent voter extrême droite. Un universalisme qui peut devenir violent, parce qu’il nie la réalité de ceux qui votent extrême droite. Ça empêche la gauche de produire une vraie rupture. Et la fête, justement, pourrait être un espace pour inventer d’autres récits, d’autres formes de pensée.
Imaginer de nouveaux récits, on en parle souvent, c’est un peu devenu une tarte à la crème. Mais après, qu’est-ce qu’on fait vraiment ? Qu’est-ce que ça signifie ?
Pour moi, la fête, c’est un déplacement sensible. Un choix de la confiance, de l’amour, de la joie — là où règnent souvent la peur, le repli, la défiance. J’ai beaucoup parlé de l’enfance, car les discours seuls ne suffisent plus. Dans cette crise démocratique, convaincre ne marche plus. La gauche s’épuise à répondre à côté, avec des mots qui n’agissent plus. Il faut repenser nos récits, mais aussi l’en-dessous des discours : les manières d’habiter le réel ensemble, dans des lieux où l’altérité circule, même sans consensus. La fête produit cela. Une expérience non discursive. On ne peut pas toujours la dire, mais elle agit. Un carnaval où des gens dansent ensemble sans tout partager — c’est peut-être plus puissant qu’un slogan.
Tu me demandais ce que le jour fait à nos sociabilités. Le jour, c’est le référentiel dominant : visible, rationnel, productif. Mais il masque aussi. La nuit, elle, révèle. Elle permet des expériences autres, à travers la fête notamment. Ce que j’appelle « interlope », c’est cette marge, cette ambiguïté féconde. La nuit casse la linéarité du temps : elle boucle, elle répète, elle rêve. Comme la techno. Certain·es, comme José Esteban Muñoz et Camille de Toledo, Kantura Quiros et Aliocha Imhoff parlent d’un « temps du potentiel », d’un conditionnel du présent : je pourrais. Ce temps d’impatience, de désir, la fête nous le fait vivre.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant nuit contre jour, mais l’heure bleue : le moment entre les deux. Il peut être angoissant — le retour du jour dissout ce qui a été inventé dans la nuit. Mais il est aussi métamorphose. Soit la fête s’évanouit comme Cendrillon, soit elle s’enferme dans le noir, soit elle déborde, infuse le jour et précipite des utopies. C’est ce débordement-là qui me donne de l’espoir. Et n’oublions pas : la nuit disparaît. L’éclairage artificiel tue aussi nos liens, notre imaginaire. Alors je terminerai avec cette phrase : déjouer les chaînes du jour, c’est réinventer nos manières de vivre ensemble. C’est augmenter la biodiversité des liens.
Interview : Coco Spina
Édition et relecture : Soizic Pineau et Sarah Diep
Image mise en avant : © Romain Guédé