Repenser le soin : du cadre validiste à la douceur radicale

Coco Spina

Myriam Bahaffou, Constant Spina et Lydie Raër

Téléchargez en pdf la retranscription complète du talk du 12 avril 2025 « Repenser le soin : du cadre validiste à la douceur radicale ». Cette rencontre a eu lieu dans le cadre du partenariat entre le média Manifesto XXI et 100 % L’Expo à La Villette. Invitées : Myriam Bahaffou et Lydie Raër (Les Dévalideuses), modérateur : Constant Spina.

Introduction

Constant Spina : Je voudrais commencer par un constat, avant de passer aux questions. On est dans une décennie de confinements et de pandémies, où la santé mentale a été érigée grande cause nationale 2025, on assiste en parallèle à une explosion de la solitude et on est confronté à la crise des hôpitaux et à celle de la santé mentale et physique des soignant·es elleux-mêmes, qui travaillent souvent dans des conditions déplorables. Jamais notre non-rapport à la santé et au validisme n’a été autant mis en lumière.

La conception dominante du care semble davantage relever de l’idéalisation que de l’expérience concrète. Le care reste relégué aux marges, assigné plutôt aux personnes femmes, queer, aux classes populaires et aux personnes racisées. C’est ce que Myriam, dans Des paillettes sur le compost, appelle la « féminisation de la pauvreté ». Cette mise à l’écart traduit un héritage humaniste occidental qui sacralise l’autonomie et la « maîtrise de soi », occultant les interdépendances qui structurent nos existences.

Dans le militantisme de gauche, le soin est parfois réduit à une esthétique de l’harmonie où tout débordement serait interdit. Donc il se transforme en un idéal de bien-être individuel plutôt qu’en un mode d’organisation collective. Mais prendre soin c’est aussi composer avec la douleur, la solitude, la maladie au quotidien et l’angoisse de la mort. Tout ce qu’on ne peut pas rendre glamour, tout ce sur quoi on ne peut pas capitaliser, tout ce qu’on ne souhaite pas voir. Est-ce qu’à force de vouloir sanctuariser des safe space, nous n’aurions pas parfois créé des bulles sécuritaires pour des personnes valides, plus soucieuses de préserver leur confort que de bâtir des véritables écosystèmes de solidarité ? Faut-il désenchanter le care ? Peut-on réimaginer la notion de « douceur » d’une façon plus radicale – en sachant que l’adjectif radical, au sens où je souhaite l’employer, n’est pas synonyme de douceur extrême, mais plutôt d’enraciné – racine et radicalité ayant une même origine ?

Extraits

Les minorités, par exemple de classe, de race, de handicap, ont toujours bougé leurs limites. On ne sait faire que cela. Donc, en réalité, quand on a des personnes privilégiées en face de nous qui, au nom de la douceur, nous disent de ne pas bouger LEURS les limites, et que ce serait un peu trop pour elles ou eux, ça me fait péter un câble. Si le paradigme de la douceur ou de la bienveillance ne vise qu’à réaffirmer un cadre blanc de « soin » qui voit tout trouble comme une menace, toute aspérité comme suspecte, je préfère à la limite être taxée de violente, plutôt qu’asphyxiée dans l’immobilisme « safe » et « doux ». J’ai besoin de mouvement pour effectuer mon travail politique, militant, intellectuel ; c’est là aussi le cœur de qui je suis. Si la douceur masque alors une condensation de ce mouvement sur des prémisses qui ne sont jamais questionnées, alors je ne fais pas vraiment partie des gens pro-douceur, mais bien plutôt pro-bouleversement.

Myriam Bahaffou

Myriam Bahaffou et Constant Spina
© Dana Galindo

Le crip time, c’est un rapport au temps spécifique, lié à notre réalité de personnes handicapées : la gestion de la fatigue, des transports, des obstacles. […] Pour une personne valide, se lever le matin, c’est un peu comme avoir 40 cuillères à sa disposition. Pour une personne handicapée ou malade chronique, c’est plutôt 15 cuillères. Par exemple, prendre une douche peut coûter 3 cuillères. Se préparer un repas, 2 cuillères. À 18h, il ne nous reste plus que 2 cuillères. Alors il faut faire des choix. Parfois, c’est le choix entre faire une machine à laver ou sortir voir des ami·es. Cette théorie nous aide à anticiper et organiser notre journée. Et, bien sûr, cela a des conséquences sur notre engagement militant. C’est une des raisons pour lesquelles il est souvent difficile pour nous, personnes handies, de nous engager politiquement, surtout sans aménagements ou sans prise en compte du crip time.

Lydie Raër

Lydie Raër
© Dana Galindo

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